LES FANTÔMES D'ISTANBUL en VOD
- De
- 2023
- 87 mn
- Drame
- Turquie
- Tous publics
- VO - HD
PARCE QUE
La première scène des Fantômes d’Istanbul s’ouvre au son d’un flash info à la radio. Coupures d’électricité, pillages en cours, chaos à prévoir. L’instant d’après, une publicité pour des appartements flambant neufs vante « une qualité de vie inégalable dans la nouvelle Turquie ». En l’espace de quelques secondes, la réalisatrice Azra Deniz Okyay a déroulé toute la toile de fond de son premier long-métrage : celui-ci se déroule dans un futur si proche qu’il est difficile de ne pas le prendre pour la réalité et met en scène les lignes de faille d’un pays pris entre la modernité galopante à laquelle il tente d’appartenir et ses archaïsmes profonds.
Pour raconter tout cela, la cinéaste fait le choix du film choral. La caméra navigue entre quatre personnages qui se croisent, se connaissent pour certains, s’opposent pour d’autres. Didem est une jeune fille passionnée de danse qui rêve de pouvoir le faire librement, alors que son art lui attire les foudres de toutes les figures ultra-conservatrices qui croisent son chemin. Iffet, elle, a besoin d’argent pour sortir son fils, emprisonné, d’une mauvaise passe. Ela est une activiste féministe. Et enfin Rasit est un truand en col blanc, membre d’un vaste réseau d’arnaqueurs immobiliers, les mêmes qui ensuite promettent monts et merveilles dans les publicités à la radio.
Passant de l’une à l’autre, Azra Deniz Okyay brasse tous les sujets brûlants de la société turque, depuis les violences faites aux femmes jusqu’à la crise du logement -le film, sorti en 2020, anticipait étrangement le terrible tremblement de terre de 2023- en passant par la militarisation à outrance de l’État et les atteintes aux libertés individuelles. Mais Les Fantômes d’Istanbul n’a rien d’un catalogue sage, ni d’un drame social larmoyant. D’abord grâce à sa structure cyclique et sa temporalité déstabilisante, Azra Deniz Okyay n’hésitant pas à tordre l’espace et la chronologie pour revenir en arrière et changer de point de vue. Ensuite Parce que la réalisatrice laisse perpétuellement planer la menace sourde du chaos, donnant à son film des allures de thriller, sans rien diminuer de sa portée politique.
Si le long-métrage est éminemment sombre, la cinéaste turque fait pourtant jaillir la lumière. C’est littéralement celle des écrans de téléphone portable dont les personnages ne se séparent jamais. Qu’ils diffusent de la musique, les relient au reste du monde ou leur permettent de filmer le quotidien le plus trivial comme les exactions commises autour, ces smartphones sont un symbole à la fois de résistance et de liberté. Mais au détour d’une scène, Azra Deniz Okyay montre aussi des enfants en train de regarder, sur un mur, dans un appartement vide et dépouillé, Les Temps modernes, de Charlie Chaplin. Une mise en abîme intelligente et pleine de sens, qui rappelle que dans les régimes liberticides, l’une des soupapes de la population est toujours venu, et vient encore, du cinéma.