TIP TOP

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Plus connus sous le nom de boeuf-carottes, les flics de l'IGS, l'Inspection générale des services, la police des polices en d'autres termes, suscitent bien des fantasmes. Ou du moins de la curiosité. Dans les films dit sérieux, ils sont les révélateurs d'une administration pour le moins faillible. Dans ceux qui ne le sont moins, ils s'en prennent pour le meilleur et pour le rire à leurs collègues corrompus, leur réservant en quelque sorte le rôle de l'arroseur arrosé. Tip Top est à la croisée des chemins. Brossant le portrait de deux femmes flics de l'IGS qui débarquent dans un commissariat à la suite de la mort bizarre d'un indic maghrébin, le film aurait pu suivre le sillon d'un Boisset qui pendant plusieurs décennies, s'est attaché à dénoncer dans ses films les dérives d'un monde pas toujours chatouilleux quant au respect des principes de base de la démocratie. Mais Tip Top ne pourrait pas être signé Boisset. Non pas que l'on soit dans la parodie. Parlons plutôt de chemins buissonniers.

Les deux femmes-flics présentent il est vrai un profil inattendu. La première joue les voyeurs, la seconde cogne. Autant dire que Tip Top tape. Elles seraient presque dans leur rôle, se complétant parfaitement si cette tendance profonde ne s'appliquait pas également à leur comportement sexuel une fois la nuit tombée. Sans doute est-ce une façon pour Bozon de dénoncer le désordre personnel de celles et ceux qui sont pourtant sensés incarner l'ordre. A moins qu'il ne fasse preuve d'empathie, affichant une certaine indulgence pour les faiblesses de ses contemporains.

Tip Top est adapté d'un roman de Bill James, Tip Top. Mais les vrais ressemblances s'arrêtent au titre, ou presque, tant l'adaptation est libre. Le réalisateur reconnaît avoir greffé une histoire secondaire qui peu à peu occupe l'espace, celle d’indics algériens arrivés en France il y a une vingtaine d’années, l'idée étant de mettre en lumière le choc des cultures. Le film a été sélectionné à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, en 2013. Il a été remarqué mais n'a pas dégagé un consensus parmi la critique. Si pour les uns, le film propose un regard neuf sur le monde de la police, privilégiant au passage quelques idées anticonformistes sur le plan de la mise en scène, le film est pour les autres un rien prétentieux, s'appliquant à brouiller les pistes pour mieux enduire le spectateur d'erreur. François Damiens lui-même, qui incarne l'un des flics du commissariat reconnaît de pas tout avoir saisi à la première lecture... Mais n'est-ce pas là au fond que réside le charme de ce film pas comme les autres ?

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LES RIPOUX (C'est une comédie qui se rit des mauvaises manières policières) ou encore LA FEMME-FLIC (Une policière casse le ronron d'un commissariat par ses méthodes peu orthodoxes).

Bozon est de toute évidence un cinéaste intrigant, qui ne répugne pas à malmener la grammaire cinématographique, son montage toujours abrupt l'atteste, pour mieux instiller une forme de burlesque qui dérange autant qu'il séduit. Sans doute s'agit-il de sa nature profonde, qui le conduit à privilégier l'insolite, qu'il soit d'un côté ou de l'autre de la caméra. On se souvient l'avoir vu dans la peau d'un chauffeur amoureux dans le très berzingue Je sens le beat qui monte en moi, un court métrage dans lequel les personnages ont la danse de Saint-Guy dès qu'une musique se fait entendre. En tant que réalisateur son unique credo est l'originalité. Quatre films au compteur. L'Amitié, qui s'attache aux pas d'une femme qui veut revoir ses anciens amants. Mods, une comédie musicale branchée autant que déroutante. La France, dont l'action se déroule durant la Première Guerre mondiale. Et enfin ce délirant Tip Top.

Le choix des comédiens est à cet égard tout sauf anodin. Sandrine Kiberlain se régale à mettre en avant son côté lunaire, en permanence à côté de la plaque, pendant qu'Isabelle Huppert casse consciencieusement son image en jouant celle qui ne prend son pied que lorsqu'elle joue du poing avec son compagnon. Il est amusant que ce dernier soit incarné par Sami Nacéri, le héros de la série des Taxi qui a davantage fait parler de lui depuis quelques années dans les pages Faits divers des journaux que dans la rubrique cinéma. Les images des comédiens seraient stériles si l'on ne pouvait pas, jouer avec...

Mais quand Bozon est au top, c'est aussi grâce à sa très fidèle collaboratrice, Axelle Ropert. Cette ancienne critique, elle fut le rédac' chef d'une revue pointue, La Lettre du cinéma, est elle aussi passée à la réalisation. On lui doit un moyen métrage, Etoile violette et deux longs qui n'ont laissé personne indifférent, du moins ceux qui les ont vus. La Famille Wohlberg, où elle offre un rôle sur mesure à François Damiens, qui jour les flics dans Tip Top, et Tirez la langue Mademoiselle, sorti en même temps que que le film de Serge Bozon.