LA FABRIQUE DES SENTIMENTS

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Pour Violence des échanges en milieu tempéré son premier film, réalisé en 2003, Jean-Marc Moutout avait plongé ses spectateurs au cœur même de la soumission de l’entreprise aux lois du marché. Cinq ans plus tard, avec La Fabrique des sentiments, il semblait déserter ce terrain social et presque militant pour aborder les rives plus insouciantes des relations amoureuses en ce début de siècle. Et cependant, comme l’indique la présence du mot « fabrique » dans le titre, ce qui est décrit ici est bien de l’ordre d’une nouvelle mécanique sociale à l’œuvre dans les rapports entre les hommes et les femmes.

Belle, brillante, active mais seule. Telle est la situation de l’héroïne inventée par Jean-Marc Moutout et ses deux coscénaristes Agnès de Sacy et Olivier Gorce. Elle a donc tout pour elle, ou presque, dans une société où l’injonction, sinon au mariage, du moins à la vie en couple reste la règle et le célibat l’expression d’une singularité dans le meilleur des cas au regard de la norme sociale. C’est pourquoi Eloïse qu’incarne Elsa Zylberstein multiplie les stratégies contemporaines pour rencontrer l’homme de sa vie, depuis le speed dating jusqu’aux sites de rencontres.   

Passionné par les relations sociales, Jean-Marc Moutout a donc envisagé son histoire amoureuse comme l’expression d’une nouvelle donne également économique. Selon lui, "dans un monde régi par les valeurs marchandes et où il n’y a jamais eu autant de gens seuls, à tous âges, il était logique d’en arriver à organiser des rencontres payantes, plus ou moins filmées. A sa manière le speed dating est un CV au cours duquel on utilise les mêmes armes et le même langage que dans les autres situations sociales." Il est temps d’entrer dans cette drôle de fabrique à l’âge de l’ultramoderne solitude…

 
Dans le même genre vous pouvez trouver JE NE DIS PAS NON (Les héroïnes des deux films partagent le même profil : elles ont a priori tout pour vivre heureuses mais la vie ne les satisfait pas pleinement...) ou encore ALLIANCE CHERCHE DOIGT (Dans son style inimitable, Jean-Pierre Mocky donne sa vision du célibat et des manières d'y remédier.).

De son propre aveu au moment de la sortie du film, Jean-Marc Moutout durant l’écriture du scénario a expérimenté lui-même les arcanes du speed dating. "Il y a quelque chose d’assez vertigineux  dans l’enchaînement de ces rencontres," a-t-il ainsi raconté. Mais d’ajouter cependant : "En réalité , les speed dating ne se passent pas vraiment comme dans mon film. C’est beaucoup plus banal et les gens se disent des choses plus anodines." Au delà des nécessités de la fiction, il n’en reste pas moins que le film s’attache à décrire de façon réaliste un personnage qui est tiraillé  entre un besoin de liberté  individuelle et un espoir romantique d’amour éternel.

Certes, la dimension sociale ou sociétale du film de Jean-Marc Moutout est indéniable et pourtant ce qui ressort finalement, c’est le portrait d’une femme "dans tous ses états", selon sa propre expression. Le cinéaste oscille en permanence entre l’identification et la distance avec son personnage féminin. Comme s’il s’agissait pour lui de dresser le portrait clinique de son héroïne tout en étant complétement à ses côtés tout au long de son histoire et de son parcours. Ce qui lui fait dire d’ailleurs qu’il la trouve "fascinante et irritante dans son aplomb, dans la manière dont elle se bat pour quelque choses tout en n’arrivant pas à construire sa personnalité."

Au cœur même de ce film qui entend montrer des réalités sociales et affectives fortes, on aura remarqué la présence de nombreux éléments oniriques et obsessionnels. A l’instar, par exemple, des couloirs qui sont comme un leitmotiv dans le film, symboles à la fois d’enfermement mais aussi de cheminement.  Au-delà, réside l’idée pour jean-Marc Moutout, que le speed dating, c’est "la chambre des désirs", par conséquent le lieu naturel des rêves, lesquels sont bien présents dans l’imaginaire de l’héroïne.

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