NOUS DEUX

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Nous deux est de toute évidence un film à la première personne, qui n’a pas été conçu pour séduire le public le plus large. Mais c’est un film d’une sincérité indéniable, qui sollicite l’émotion sans jamais le faire de façon trop ostensible ou racoleuse. L’histoire est celle d’un couple de retraités qui au soir d’une vie de labeur, décident de regagner leur île, la Corse. Le rythme y est moins trépident qu’il ne l’était à Paris, mais les images, les sons et les odeurs qui les accueillent valent leur pesant de nostalgie. Le film effectue un va et vient constant entre l’intime, à commencer par les sentiments qui unissent Toussaint et Madeleine, et l’universel. Ou presque, puisque le réalisateur nous parle de sa terre, la Corse, pour laquelle il a visiblement les yeux de Chimène.

C’est un mélange de tendresse et de regrets qui nous est proposé lorsque sont soulignées la désertification des villages de l’intérieur, la difficulté à y maintenir des services publics dignes de ce nom, la lente décrépitude des bâtiments… Et le cinéaste d’insister également sur l’envahissement touristique des mois d’été, au cours desquels l’âme corse se dilue et se perd. Le couple est lui-même à l’heure du bilan, à l’heure où la vieillesse guette, quand il se retrouve face à lui-même dans une inédite solitude à deux qui n’est pas toujours aisée à surmonter.

Nous partageons d’autant plus aisément leurs joies, leurs déceptions, leurs regrets que les comédiens qui leur prêtent leurs traits sont vibrants d’humanité contrariée. Il est vrai que Philippe Noiret et Monique Chaumette sont également mari et femme à la ville et que leur complicité n’a rien de feinte. Ils avaient d’ailleurs déjà été réunis, vingt ans plus tôt, par le même Henri Graziani dans son Poil de carotte, où ils campaient avec autorité Monsieur et Madame Lepic, un couple aux failles béantes….  

 
Dans le même genre vous pouvez trouver TERRAFERMA (Les deux films parlent de l'insularité et la résistance à l'invasion touristique.) ou encore L'ENQUÊTE CORSE (Les deux films interrogent l'âme corse.).

Henri Graziani, le réalisateur de Nous deux n’est pas comptable d’une œuvre très fournie. Deux courts métrages, Anatole et Le Temps d’apprendre à vivre, et deux longs métrages. Le premier, Poil de carotte, est comme son nom l’indique une adaptation du célèbre roman de Jules Renard. Le film est de toute beauté, mais Graziani n’étant pas un cinéaste racoleur, il n’a pas rencontré davantage qu’un succès d’estime. Ce qui explique sans doute qu’il ait fallu vingt ans pour que le cinéaste réalise Nous deux. Vingt nouvelles années se sont d’ailleurs écoulées depuis sa sortie sans que l’on voie poindre un troisième projet… Ce qui ne l’empêche de collaborer au scénario d’autres films, comme La Baraka, de Jean Valère ou Le Fils, de Pierre Granier-Deferre. Si seul le dernier se déroule en Corse, les deux films ont néanmoins en commun de rendre hommage aux populations méditerranéennes. Henri Graziani est également acteur à ses moments perdus. On a pu ainsi le voir dans Le cadeau d’Elena, signé Frédéric Graziani, dont l’action se déroule en dans l’île de beauté. Tout y revient…

Et pourtant la Corse n’a pas attiré le cinéma comme elle aurait dû compte tenu de ses qualités picturales et de la singularité de son âme. Nous ne ferons pas la liste des films qui s’y déroulent, pour partie ou dans leur totalité, des premières scènes du Napoléon de Gance aux délires drolatiques d’Alain Berbérian quand il a porté à l’écran L’Enquête Corse, l’inénarrable album de BD de Pétillon. Mais les habitants de l’île regrettent que leur terre ne soit le plus souvent exploitée que pour sa cinégénie. Les Corses ne sont par exemple que des silhouettes dans Les Randonneurs, de Philippe Harel, les personnages principaux venant du continent. Pour ne rien dire de Ludivine, porno ambitieux relatant les riches heures du tournage d’un film X dans les montagnes corses…

Mais Henri Graziani n’est pas seulement fidèle à sa terre, il l’est aussi aux siens. Il semble d’ailleurs que les protagonistes de Nous deux ressemblent un peu à ses propres parents. A noter que le scénario du film a été cosigné par Arlette Langmann. Or Arlette Langman n’est pas seulement une scénariste de talent. C’est aussi la sœur de Claude Berri (et de fait la tante de Thomas Langmann). Ce qui explique sans doute que Berri soit le producteur du film. Mais c’est également  la femme de Maurice Pialat, avec lequel elle forma un couple passionné et douloureux, comme le montre le très autobiographique A nos amours, le film de Pialat qui nous fit découvrir Sandrine Bonnaire. Henri Graziani fut d’ailleurs le collaborateur de Pialat. Tout cela est décidément une histoire de famille…