UNE INTIME CONVICTION

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Que nous disent les grands procès qui font la une des journaux ? Que nous racontent-ils de notre société et de ses valeurs, quel miroir nous tendent-ils à nous-mêmes ? Voilà les questions qui agitent les journalistes en charge de suivre ces affaires, mais aussi les réalisateurs et réalisatrices qui les portent à l’écran. Avant Anatomie d’une chute de Justine Triet, Le Procès Goldman de Cédric Kahn, ou encore Saint Omer d’Alice Diop, le cinéaste Antoine Raimbault signait en 2019 avec Une intime conviction ce qui pourrait presque ressembler au préambule de ce regain d’intérêt du cinéma français pour notre système judiciaire. Son film reprend l’affaire Suzanne Viguier, du nom de cette femme disparue à Toulouse en 2000, dont le corps n’a jamais été retrouvé, et dont le mari a bien vite été accusé du meurtre. Acquitté en première instance, Jacques Viguier s’est retrouvé en procès en appel.

C’est cette deuxième audience que raconte Antoine Raimbault. Si Une intime conviction est parfaitement documenté, le cinéaste a l’intelligence d’y introduire un personnage totalement fictif, Nora, jurée en première instance, désormais convaincue de l’innocence de l’accusé et bien décidée à tout faire pour le faire acquitter une seconde fois. Nora n’est pas seulement une porte d’entrée pour le spectateur dans les arcanes de la justice française, elle est aussi l’élément révélateur des grands paradoxes du système et de toutes les questions qu’il pose. Parce que Nora n’a pour elle que cette intime conviction d’une innocence, et se retrouve bientôt face à une évidence : cela ne pèse rien dans une cour d’assises.

Celui qui le lui apprend, c’est Eric Dupont-Moretti, ténor du barreau bien réel pour le coup, appelé à la rescousse de Jacques Viguier en appel, qu’Antoine Raimbault présente en homme inflexible mais intelligent, dur mais impliqué et, surtout, extrêmement conscient des limites de la justice. Cette administration a beau porter le nom d’une vertu, elle n’en a pas la pureté. Personne, dans ce tribunal, ne peut prétendre trouver la vérité. Tout juste en proposer plusieurs versions, parmi lesquelles il faudra choisir. « Je dois me battre contre l’imagination », tonne d’ailleurs l’avocat dans le film. C’est là toute la différence entre juger et rendre la justice, surtout dans un procès comme celui-ci, sans preuve, sans aveux et même sans victime clairement établie.

Une intime conviction a les moyens formels de ses ambitions, avec une mise en scène précise, toujours en mouvement, qui donne aux plaidoiries des airs de thriller et parvient même à insuffler un certain suspense à une histoire dont, pourtant, beaucoup connaissent l’issue. Mais c’est véritablement dans ses deux interprètes principaux que le film puise toute sa force. Dans le rôle de l’un des avocats les plus connus de France, désormais passé ministre, Olivier Gourmet ne cède jamais à la tentation de l’imitation, préférant faire le pari (gagnant) que la grandeur et la prestance se reconnaissent toujours au-delà des mimiques et des apparences physiques. Face à lui, Marina Foïs est bluffante dans le rôle de Nora, perdant peu à peu le sommeil et la santé dans une affaire qui la dépasse. Une intime conviction est moins l’histoire d’un procès que celle d’une obsession, dans tout ce qu’elle peut avoir de louable et de destructeur, de beau et de vain à la fois. L’actrice endosse à merveille toutes ces émotions brutes et fougueuses qui, si elles n’ont aucune valeur judiciaire, restent tout de même la première pierre de ce qui deviendra un jugement.