UNE JOURNÉE BIEN REMPLIE

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Acteur charismatique s'il en est, Jean-Louis Trintignant, découvert par le grand public dans Et Dieu créa la femme en 1956, avait déjà plus de 60 films à son actif lorsque, quadragénaire, il se laissa tenter par l'expérience de la réalisation. Immanquable tête d'affiche du cinéma français, il avait transcendé Un homme et une femme, Z ou Ma nuit chez Maud et avait collaboré avec Gance, Franju, Risi, Demy, Cavalier, Clouzot, Chabrol, Bertolucci et beaucoup d'autres. Figure atypique et inclassable, Trintignant impressionne par son élégance, sa discrétion et la subtilité de ses interprétations. Et ce, même lorsqu'il campe des personnages ambigus ou cyniques. Tout naturellement, son écriture cinématographique, elle aussi, allie cette rigueur et cette audace, cette classe et ce trouble, oscille entre sobriété et provocation. Moins connu que sa seconde réalisation (Le Maître-nageur), cette Journée bien remplie est un véritable petit bijou qui s'appuie sur un humour noir réjouissant et un style cinématographique brillant et épuré. Je vous laisse donc entre les mains (et dans le side-car) de Jacques Dufilho...

 
Dans le même genre vous pouvez trouver SWEENEY TODD (TIM BURTON, USA - 2007) ou encore LE PETIT HOMME (JODIE FOSTER, USA - 1991) .

Incroyable Jacques Dufilho ! Malgré ses 58 ans, il déploie des qualités physiques exceptionnelles : son corps semble presque élastique. Il faut dire que ses premiers shows, 40 ans plus tôt, associaient mime et numéros de clown... Jean-Louis Trintignant disait de lui qu'il était « plus beau que Gary Cooper et se déplaçait encore mieux que lui » ! Mais la magie de sa prestation réside sans doute plus encore dans cette expression d'angélisme, de candeur, de politesse extrême, à l'heure d'exécuter des actes effroyables. En cette année 1972 était également tourné L'An 01... L'influence du surréalisme et de ses descendants (comme le mouvement Panique de Topor, Arrabal et Jodorowsky) est alors très vive. On la sent nettement dans le récit noir et macabre de Trintignant, qui flirte toujours avec la poésie, la fantaisie, le décalage absurde et l'humour. L'incongruité des modes d'assassinats par exemple est abordée à la manière d'un véritable geste artistique. La mise en abyme n'est jamais loin pour l'acteur Trintignant devenu metteur en scène du film, ou interprétant le metteur en scène de la pièce de théâtre qu'il filme. Quant au scénariste Trintignant, il met en scène (en off) le réalisateur Trintignant à l'occasion d'un virage raté par le chef op' ou commente la diffusion de la BO : clin d'œil et liberté d'écriture rares. Mais au-delà de cette impertinence à tous niveaux, il faut souligner la richesse d'invention du film. Les trouvailles formelles ancrent le récit dans un ton peu commun. Le side-car, l'absence de dialogues, le refus d'une explication directe et la fluidité des enchaînements contribuent à la maestria de l'ensemble. écrit et préparé sur un coup de tête, en un an, cette Journée bien remplie, magnifiquement photographiée par l'immense William Lubtchansky et qui marquait les premiers pas d'un jeune assistant réalisateur nommé Jean-Jacques Beineix, est une étonnante réussite.