LE COUP DU SIÈCLE

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En 1983, William Friedkin n’est plus le cinéaste qui a révolutionné le cinéma américain. Si les succès colossaux de French Connection et L’exorciste ont redéfini les codes du film policier comme de celui d’épouvante, leur réalisateur a essuyé ensuite trois très lourds échecs successifs avec Sorcerer, Têtes vides cherchent coffre plein et Cruising. Pire, le scandale causé dans la communauté gay par Cruising a fait de Friedkin un quasi-pestiféré à Hollywood.

Après une solide dépression et un infarctus sévère dus à ces déconvenues, Friedkin décide de se remettre en question. Pourquoi pas en remettant tout à plat, en revenant, comme à ses débuts de cinéaste, à la comédie ? Sauf qu’une comédie par ce réalisateur-là ne peut être que chargée de poil à gratter. Ce n’est rien de dire que Le coup du siècle poussera les compteurs dans le rouge, à commencer par son sujet pour le moins délicat dans l’Amérique de Ronald Reagan : les ventes d’armes et le terrorisme.

En suivant les péripéties de deux marchands d’armes concurrents, chargés de vendre à une petite dictature d’Amérique latine un système capable de réduire à néant les armes lourdes de ses opposants, le scénario du Coup du siècle voile à peine des allusions à l’implication du gouvernement Reagan dans le financement des Contras, un groupe contre-révolutionnaire du Nicaragua, par l’argent récolté via la vente d’armes à l’Iran, alors ennemi juré des USA. Un ton grinçant qui ne pouvait que plaire à Friedkin, grand commentateur des mœurs de son pays. Il en renforcera le ton satirique, entre autres via une voix-off narratrice cynique, qui est peut-être le reflet de l’opinion particulièrement désabusée du réalisateur…

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LORD OF WAR (Même toile de fonds (le milieu des marchands d'armes), même ton grinçant, Lord of war est une sorte de mise à jour, car réalisé vingt deux ans plus tard, du Coup du siècle) ou encore LA RAISON D'ÉTAT (Ce film méconnu d'André Cayatte invente un conflit en Afrique pour mieux disséquer le système économique des ventes d'armes françaises.).

Bien qu’évoquant l’Amérique des années 80, Le coup du siècle remonte pourtant plutôt à celle d’Eisenhower et Kennedy. A l’origine, le scénario écrit par Paul Brickman devait relater un énorme scandale financier qui courut pendant près de vingt ans. Entre 1950 et 1971, les cadres dirigeants de Lockheed, un des fleurons de l’industrie aérienne américaine ont couvert une corruption rampante dans les achats d’appareils militaires entre les USA, l’Allemagne de l’Ouest, le Japon et les Pays-Bas. La révélation de cette affaire provoqua un séisme politique entre ces pays, faisant repartir de plus belle une guerre froide qui n’en demandait pas tant.

Le coup du siècle ne devait pas être qu’une occasion pour Friedkin de redorer son blason, mais aussi permettre à Chevy Chase, alors une énorme star comique très populaire pour ses participations au Saturday Night Live, de changer de registre. Si les rapports entre Friedkin et Chase furent plus qu’orageux pendant le tournage, l’acteur trouva effectivement avec ce film son rôle le plus ambitieux. Il reviendra cependant rapidement dans le giron de la comédie : en parallèle du Coup du siècle sortira Bonjour les Vacances,  dont il tient la vedette et qui sera l’un des gros succès au box-office US de 1983. A l’opposé du Coup du siècle.

Si la critique et le public l’ont ignoré, c’est en partie parce que ce film ne correspondait pas aux canons d’une période où l’Amérique et surtout son cinéma sont en quête de nouveaux héros. Là où, à l’exception des terroristes, les personnages du Coup du siècle sont amoraux et manipulateurs. Une vision peut-être trop radicale, même pour Friedkin, qui estimera avec le recul que l’échec du Coup du siècle venait entre autres de son insistance pour mettre en avant la part sombre de son scénario. Ce film passera par pertes et profits, y compris pour son réalisateur qui ne l’évoquera à peine dans ses pourtant très fournis mémoires. Sans doute à tort : vu d’aujourd’hui, Le coup du siècle et son ironie noire a esquissé avec quelques coups d’avance le portrait du libéralisme et de ses peu reluisantes coulisses.

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